Take my place #2 : De l’art de trouver un stage ou le rite du passage moderne

chien jouet

Pour passer du statut d’adolescent à celui d’adulte, chaque société a ses méthodes. Pour certains, il s’agit de scarifications, pour d’autres, de courir nu à travers un troupeau ou de sauter de la cime d’un arbre. En tant que civilisation qui refuse la souffrance et les brimades, tu te doutes bien que courir nu à travers un champs ferai désordre. Alors, nous avons inventé notre propre rite de passage, moins visible mais beaucoup plus sournois et tout aussi dangereux :

LE STAGE !

Te voilà enfin, toi, jeune diplômé, plein d’espoir, prêt à en finir avec le régime pâtes au beurre/pâtes  au fromage/ pâtes bolo, à accueillir à bras ouvert les possibilités de vacances et de shopping ! Pas si vite jeune naïf ! Tu vas devoir d’abord affronter l’une des épreuves les plus ingrates de ta carrière naissante.

Tout d’abord, il va bien falloir que tu le trouves ce stage.  Tu envoies donc un parfait petit CV à la société de tes rêves…
… Pas de réponses.
Tu en envoies un deuxième, puis dix, puis cent, jusqu’à te demander pourquoi personne ne veux t’embaucher pour pas le tiers du prix d’un salarié. Tu te sens un peu comme cette petite jupe H&M à -75% qui finira son été seule dans un vieux bac. Alors que tu es au bord de la dépression, tu reçois un coup de fil. Youpi tralala boumboum, tu  vas enfin pouvoir travailler !

Pas trop vite petit Padawan, 2 épreuves t’attendent qui feraient passer Koh Lanta pour un séjour relax.

La première est de taille et je me demande comment cela se fait-il que personne n’ait déposé le concept pour une émission de télé-réalité : « 1 poste : 30 candidats. Qui sera l’heureux élu ? », ça ferait quand même un chouette concept !
S’ensuit alors un combat moral avec tes congénères pour devenir le leader de la meute. Si comme moi, tu aurais préféré que ce combat se passe comme dans Fort Boyard, façon catch dans la boue, c’est raté. Tout est purement stratégique. Il faut donc effrayer ton adversaire, lui montrer que tu es beaucoup plus fort que lui (tu visualises les singes qui se tapent sur le torse pour s’impressionner ? Dis toi que tu es ce singe !).
Dans la salle d’attente, lâche quelques petites phrases type « Ah ? Tu as fait l’école machin ? C’était bien ? Tu es la première que j’entends en sortir, tout le monde dit que c’est pourri ! ». Bien entendu, il faut que tu commences sur un ton amical, sinon, tu vas passer pour une pétasse qui se croit mieux que tout le monde. Et tu ne veux pas se griller avec tes peut-être futurs collègues ! Non, tu veux juste qu’ils reconnaissent que le poste te revient de droit parce que t’es meilleur qu’eux. Nuance ! Puis, de fil en aiguille, passe de la perfidie au mensonge (maintenant tu es un paon qui fait la roue). « Le logiciel Hyperdur ? J’adore bidouiller des trucs dessus ! », « J’ai passé un an à New York afin de perfectionner mon accent anglais, j’espère que ça ira ». Tu as compris le style ?

Passons désormais à l’étape 2 que je nommerais :  « Opération Séduction ». Te voici devant la personne qui détient peut-être entre ses mains ton futur. Tu vas devoir la convaincre qu’il est indispensable pour elle de bosser avec toi. Autant pour moi, je rectifies : de t’exploiter. Car oui, tu es stagiaire, tu travailles plus que les autres, mais tu es moins payé. Ne cherche pas à comprendre et prends les miettes en souriant : certains se sont battus pour ça.

Comme lors d’un speed-dating, tu as approximativement 7 minutes pour te vendre. Et ça commence mal puisque Duboss regarde ton CV (et ta photo d’identité pourrie où tu fais la tronche) avec une moue dubitative : « Je vois que vous n’avez aucune expérience… ». Tu as envie de hurler que non, faut bien que tu commences quelque part, c’est pour ça que tu veux bien qu’on te sous-paye.
Mais attention, pas d’erreur de débutant, sinon c’est direction la poubelle pour ton CV. Souris poliment et ânonne des phrases bateaux telles que « J’ai tellement envie d’apprendre ! » (j’aime tellement ça que je viens de passer 5 ans pour rien dans une école qui coûte les yeux de la tête), « Votre entreprise est merveilleuse !» (pour une usine de boulons), « Je me voit tout à fait dans cet environnement ! » (en fait, je voulais bosser pour un magazine de mode, mais on m’a jamais rappelée). Le tout, avec un sourire niais. Pense Miss France, paix dans le monde, petits chatons de calendriers des éboueurs, ça devrait faire l’affaire pour paraître suffisamment guimauve. Suite à cet entretien, ô combien productif, tu te retrouves à envoyer à Duboss un  mail expliquant par A+B que tu rêves d’apprendre tout de lui et de satisfaire tous ses désirs ! On vient de passer de Koh Lanta à Pretty Woman…

Je passerais sur les éventuels seconds entretiens « vous n’êtes plus trente, vous êtes 28 » (ouaiiiiiiiis !) pour en arriver directement au moment crucial

Il est 8h30 pétantes, te voici donc habillée sur ton 31, prête pour ton premier jour en tant que stagiaire. Tes stylos sont prêts à dégainer, ton cerveau à fumer !

Mais avant, il va falloir mettre ta dignité de côté et oser rentrer. Ca y’est, tu as poussé la porte, te voici dans l’inconnu. Des gens passent et te regardent bizarrement sans t’approcher. Tu ne sais pas où aller et tu rêverais d’une cape d’invisibilité. Tu te crois encore dans ce fameux cauchemard ou tout le monde se moquait de toi . Enfin, une personne s’approche de toi, et tu peux lui expliquer d’une petite voix que c’est ton premier jour de travail avec Duboss. Ah oui, mais en fait, le susnommé Duboss est à l’extérieur et ne rentre qu’à midi. En fait, il t’a complètement zappée. On a quand même la gentillesse de te donner une chaise pour que tu ne restes pas assise dans le couloir (parce qu’en plus là, si tu as mis une jupe un peu courte, c’en est fini pour toi). Tu viens désormais de passer de l’état d’esprit de Lucky Luke le vainqueur à Rantanplan le chien fidèle. A chaque fois que la porte d’entrée s’ouvre, tu te redresses, une lueur d’espoir dans les yeux…pour finir par t’affaisser de désespoir (ou d’ennui : compte les carreaux sur le sol ou les tâches sur le mur).

Mais voilà Duboss qui arrive avec un grand sourire accueillant en criant « AAAAAAh Melle XYZ, vous voilà enfin ! ». Ah comme il est content de te voir, toi le survivant de la meute de candidats. Mais là, il est midi et il faudrait qu’il aille manger à l’extérieur. Second moment de solitude pour toi. Question cruciale. Réflexion maximum : mais ou vas-tu manger ?. Passons sur ces intenses délibérations entre toi, ton courage et ta timidité et envisageons l’option la plus commune : tu finis par grignoter dans ton bureau ta gamelle froide (tu sais pas où est le micro ondes) et la vessie pleine (t’as pas non plus trouvé les toilettes).

D’autres joyeusetés t’attendent par la suite. Tu te rendras compte que tu n’es plus un individu, mais que tu es désormais SA stagiaire (d’ailleurs, lui est ton MAITRE de stage… autant jouer le SM à fond). Tu remarqueras également que tu es pestiférée dans l’entreprise, comme si être vu avec toi était extrêmement honteux. Tu verras que durant tes cinq années d’école, tu n’as pas appris l’essentiel : combien de cuillères met on pour avoir un café « bien noir » et comment se débrouille t-on avec cet engin pour faire une photocopie recto-verso. Tu te retrouveras à gérer des situations de crise dans une tension digne d’un polar : où est passé l’agrafeuse de Duboss ? Pourquoi ce fichu ordi refuse de démarrer ? Comment aller d’un point A à un point B ?

Bien entendu, tu penseras à sauver la face devant les autres. Oui, ton stage est supeeeeeeeer. D’ailleurs, tout le monde t’adores. On t’a même offert un mug à ton nom !  Tu expliqueras avec force de détails à ton futur employeur ce que tu as adoré dans tes précédentes missions (non, pas le café, tes expériences imaginaires !).

Au terme de ces mois de stage, si tu as survécu, tu seras enfin considérée par la société comme une adulte. Et à ton tour, tu n’attendras qu’une seule chose… avoir enfin TON stagiaire pour prendre ta revanche ! MOUAHAHAHAHAHAHAHA (rire démoniaque).

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428168_10150657173962296_1268077489_nMarion est une jeune parisienne, anciennement bordelaise, ex étudiante en Lettres, future étudiante en comm. Elle cohabite en ce moment dans un superbe 15m2 envahi de livres, de thé et de chaussures qu’elle partage (quand il lui laisse de la place) avec mon chat Puduc’.

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